Légende locale: L'affaire du moulin d'Yvray - La véritable complainte de Chalumeau

 A la faveur d'un boite à livres, j'ai trouvé des documents, des articles de journaux datant des années 80 et un livre qui retracent une légende angevine qui a traversé les époques. Cette histoire régionale a donné naissance à un roman écrit par René d'Anjou et Cyriaque de Pocé, ainsi qu'une chanson.

 Le livre que j'ai trouvé, "Pierrerit ou Les Drames du Moulin d'Yvray en Anjou", date du début du XXe siècle.  Il s'agit d'un drame en cinq actes (six tableaux). Il a été écrit par Pierre d'Obeaux et édité par Siraudeau à Angers. Il est tiré du fameux roman de René d'Anjou et Cyriaque de Pocé. 

C'est avec un grand intérêt que j'ai découvert ce morceau d'histoire angevine et avec plaisir que je vous partage ici cette incroyable trouvaille à mon tour.





Article de "Le journal du Ouest France" Maine et Loire du 17 août 1983.


Le crime du moulin d'Yvrais

La véritable complainte de Chalumeau rééditée par Cheffois

Angers. - C'est, avec Rouget le Braconnier, l'une des légendes locales tirée de faits authentiques parvenue jusqu'à nous à travers le prisme des veillées villageoises et, depuis, nichée dans un recoin de notre mémoire collective.

Il y a de l'ogre et du petit poucet dans ce crime du moulin d'Yvray perpétré sous Louis VIII sur le territoire d'Etriché par un aubergiste peu scrupuleux. Le mythe de l'aubergiste assassin ne date pas du XIXe siècle même s'il hante certains romans de la comtesse de Ségur et d'Alexandre Dumas. Ici, toutefois, l'histoire est vraie qui a inspiré, par la suite, plusieurs écrivains locaux et auteurs dramatiques.

Il y a quelques années encore la troupe "le Rideau Cheffois" qu'animait alors monsieur Bernard Laugery, bâtonnier d'Angers, se taillait un vif succès en interprétant "Le crime du moulin d'Yvray". Il y était question d'un noble émigré, Jean d'Yvray, revenu au pays après l'exil définitif de Naopélon 1er, et qui était assassiné par Pierre Chalumeau dit "Pierrerit", sa femme, sa fille et son gendre. Un vagabond ayant assisté involontairement au meurtre, Michel Nicole, usurpait l'identité de Jean d'Yvray et tombait amoureux de sa nièce dans la plus pure tradition du mélodrame.

Rien de tel dans la réalité qui tient du crime crapuleux et qui doit son retentissement au nombre de condamnations à mort qui en découla -quatre- et au désir des autorités, dans une période trouble, de frapper les imaginations par une sanction exemplaire. D'où la publicité faite, à l'époque, à ce crime.


Cette publicité prit, entre autre, la forme d'un canard "La complainte de Chalumeau", tiré à 50 000 exemplaires par l'éditeur A. Mame. Un cheffois épris d'histoire locale, André Grazelie, 37 ans, vient de rééditer, avec le concours de M. Denesle, éditeur à Tiercé, cette complainte qui était selon sa propre formule, "le France Dimanche de l'époque", une réédition qui a conduit sur les traces de Chalumeau, aux portes même su moulin d'Yvray, aujourd'hui habité et restauré par un Angevin paisible, autrement sympathique que son lointain prédécesseur, et d'une hospitalité sans failles.

Dans un grenier de Champigné

André Grazelie à qui l'on doit la remise à jour du document

André Gazelie doit à son goût pour l'histoire locale et au hasard, d'avoir découvert il y a plusieurs années, dans un grenier, à Champigné, un original de la complainte, l'un des rares conservés dans la région.

"Peuple angevin, y pouvait-on lire, c'est moi dont la manoeuvre, 

Dans le logis nommé le Cheval Blanc,

En mon village a fait périr Deloeuvre

Qui s'en allait jusqu'à Clermont-Ferrant

Ma dure femme, Ma fille infâme, 

Mon gendre enfin,

M'ont tous prêté la main." (...)

Véritable complainte de Chalumeau dit Pierrerit et consorts

Condamnés à la peine de mort par Arrêt de la cours d'Assise séant à Angers, du 3 décembre 1817, confirmé par Arrêt de la Cour de Cassation

Air du Cantique de Saint Roch

La réédition de la complainte a été reproduite fidèlement sur Velin d'Arches (49 cm par 64 cm), ornée des portraits des condamnés: elle raconte en vingt-trois couplets le détail de l'affaire. Un feuillet accompagne la complainte, situant les événements dans le temps et l'espace.
On peut se la procurer auprès de M. Grazielie, à Cheffes-sur-Sarthe, chez l'imprimeur, M. Denesle, à Tiercé et à la bouquinerie " Candide", rue Montaud, à Angers.
Les bénéfices éventuels tirés de cette réédition seront versés auprès d'une association de handicapés.

                                             

Ce canard se vendit le 3 février 1818, sur la place du Champ de Mars à Angers, à l'occasion de l'exécution de trois coupables sur quatre; la quatrième, Anne Chalumeau, fille de l'aubergiste, était morte en prison.

"L'affaire du moulin d'Yvray, explique André Grazelie, est passée dans la légende locale, surtout par sa version romancée de René d'Anjou et Cyriaque de Pocé, éditée par M.J. Siraudeau au début de ce siècle et qui a fait, depuis, les belles heures des feuilletons de nos quotidiens angevins."

"En revanche, poursuit A. Grazelie, les archives sont beaucoup plus pauvres que l'imagination des romanciers." Aux archives départementales, on ne trouve plus trace des minutes du procès d'assise de la famille Chalumeau; cependant on a conservé le livre de P.L. Béchet publié en 1882. C'est l'oeuvre d'un journaliste "remarquable par son soucis de la vérité historique" qui doit également faire l'objet d'une réédition de la part d'un éditeur de Denée, M. Davy.

Autre document d'époque, à défaut des archives d'origine: le compte rendu des audiences dû à l'éditeur Mame.

L'auteur de la complainte: le greffier en chef de la Cour Royale?

Selon Célestin Port, la complainte de Pierrerit serait due à la plume de Joseph François Stanislas Mainsony de Lauréal, greffier en chef de la Cour Royale d'Angers, également auteur d'autres chanson et odes de circonstances.  Jusqu'à ces jours derniers, on ignorait tout de la musique de la complainte; n'en subsistaient que les premières mesures fredonnées de mémoire par Emile Joulain, qui se souvenait, enfant, avoir entendu son père la chanter. Or, une découverte en appelant une autre, on vient de retrouver la partition du cantique de Saint Roch qui servit d'illustration musicale à la complainte. 
Cela étant qu'en est-il de la vérité historique? En premier lieu, où situer le moulin d'Yvray?
"Quand on va de Tiercé à Etriché, en suivant la route d'Angers à Moranne, écrit Dominique Lambert, historien local qui s'est intéressé, lui aussi, à l'affaire, on rencontre, à trois quarts de lieue du premier de ces bourg, une assez forte agglomération dont la plupart des constructions sont anciennes. La route, avant d'y arriver, fait un brusque détour à gauche et coupe la ligne de chemin de fer. Elle contourne ensuite un coteau, traverse le village en faisant une courbe assez prononcée et reprend ensuite sa direction première vers Etriché...qui n'est guère qu'à une demi-lieue de là. Les maisons entremêlées de logis antiques, à immenses toits d'ardoises aux petits tourillons pointus, forment l'alignement de cette longue rue en demi-cercle".
Ce village est le moulin d'Yvray, ancienne agglomération formée sur la grande voie d'Angers au Mans aux abords d'un groupe de moulins qui appartenaient au XIe siècle au seigneur de Juvardeil et plus tard au seigneur de Plessis-Chivré (...). "Un bras de la Sarthe passe aux pieds de maisons, baigne les murs des jardins et les envahit à l'époque des grandes eaux".

L'ancienne auberge telle qu'on peut la voir aujourd'hui

Tel est le cours du drame qui va suivre.
Au moment du drame, il y avait au moulin d'Yvray, une auberge appelée la Boule d'Or (et aussi le Cheval Blanc, dans la complainte), tenue depuis deux ans, par Louis Ménard et sa femme Anne. Cette auberge était auparavant la propriété des Chalumeau. Pierre Chalumeau était né à Tiercé en 1765. A l'âge de 19 ans, il avait épousé Anne Ory, une jeune fille du même âge, née comme lui à Tiercé. Anne était leur fille et Louis Ménard leur gendre. 
Pierre Chalumeau dit "Pierrerit" parce qu'il riait tout le temps, d'une rire, en forme de rictus,  exerça d'abord le métier de maréchal à Tiercé puis vint, au bout de quelques années, prendre au moulin d'Yvray l'auberge du Cheval Blanc qui devait devenir tristement célèbre.
"L'auberge des Chalumeau, écrit Dominique Lambert, n'avait pas tardé à prospérer mais Chalumeau et sa femme Anne (prénom identique à celui de sa fille), avait acquis bientôt une détestable réputation. Ils se moquaient des pauvres gens "trop bêtes, disaient-ils pour s'enrichir"; Ils étaient durs pour les malheureux et redoutés de tout le monde. Pendant les guerres de la république et de l'empire, il n'était pas rare d'entendre dire que des voitures publiques, des chaises de poste ou des voitures particulières étaient arrêtées et dévalisées sur les grandes routes, principalement sur la route du Mans à Angers. La rumeur publique accusait tout bas Chalumeau de n'être pas étranger à ces vols à mains armées".


Pour quelques louis d'or

La rumeur publique tient ici un rôle déterminant. C'est elle en effet, le 4 mai 1817, lorsqu'un marinier découvre dans la Sarthe, à la porte marinière de Portebise, sur la commune de Tiercé, le cadavre d'un homme bientôt identifié comme étant François Xavier Deloeuvre, qui accusera Pierre Chalumeau. Tous les soupçons convergent vers le redoutable aubergiste: la victime, un ex-comédien originaire de Lyon, a été vue chez lui une quinzaine de jours auparavant et Pierrerit, qui est sans doute méchant mais guère malin, accumule les gaffes. Avant même qu'on ait retrouvé le cadavre, il s'enquiert de ses nouvelles...Une première fois, Pierre Chalumeau comparait en justice en compagnie de sa femme, de sa fille et de son gendre, devant le tribunal de première instance de Baugé. Mais l'accusation manque de preuves, les Chalumeau et les Ménard sont innocentés et relâchés. Leur retour se fait en fanfare, ou presque. Ils font au hameau une entrée remarquée en charrette au dos de laquelle est accrochée l'inscription "laissez passer les innocents".
Nous sommes le 15 juillet 1817. La rumeur publique, fondée sur les confidences de voisins, une jeune servante qui a vu le couteau taché du sang de la victime, ne démord pas.
Une nouvelle enquête a lieu, et, le 28 novembre, s'ouvre, devant la cours d'assise d'Angers, le second procès de Chalumeau, entouré de ses trois complices, alors qu'il dormait. Pour quelques pièces d'or.
Anne Chalumeau, femme Ménard, enceinte, mourut à la maison des Pénitentes le 9 janvier 1818. On dit qu'elle s'empoisonna. Son père, sa mère et son mari furent exécutés, le 3 février, jour de mardi-gras, "La sentence accomplie, rapporte D. Lambert, on entendit les colporteurs crier dans la foule à plein gosier, "la complainte de Pierrerit" (...). Un sculpteur obtint l'autorisation de mouler les trois têtes des suppliciés. Il fit également le plâtre d'Anne Chalumeau, d'après ses souvenirs; et ces quatre plâtres furent exposés sur le pont du Centre, le dimanche suivant. Toute une journée, une foule énorme ne cessa de porter en cet endroit pour voir les traits des assassins". 

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Page 3 Article du 25-03-1983 d'un journal, sans source exacte, Courrier de L'Ouest supposé



 Réédition d'un "canard" angevin

A propos de l'affaire du Moulin d'Yvray


Les "canards"  furent souvent de simples feuilles imprimées rapportant le détail des grands crimes et des incendies dramatiques; vendus en ville, sur les places ou dans les foires des gros bourgs, ils s'adressaient à l'imagination populaire avide de sensationnel. 
Les dessins naifs renseignaient les illettrés, et la complainte, apprise sur place par les badauds entourant le marchand, restait pour longtemps gravée dans les mémoires.
L'affaire du moulin d'Yvray, près d'Etriché, est passée dans la légende locale, surtout par sa version romancée de René d'Anjou et Cyrique de Pocé, éditée par J. Siraudeau au début de ce siècle, et qui a fait, depuis, les belles heures des feuilletons dans nos quotidiens angevins (1), rivalisant avec l'histoire de Rouget le Braconnier. 
En revanche, nos archives sont beaucoup plus pauvres que l'imagination des romanciers.
On peut trouver le livre de M. Béchet, 1882, oeuvre de journaliste, remarquable pour son soucis de la vérité historique.
Quant aux éditions de l'époque de l'affaire, il ne nous reste qu'un compte rendu des audiences par A. Marme.
C'est le même imprimeur angevin qui a sorti en 1818 de ses presses 50 000 exemplaires de "La véritable Complainte de Chalumeau, dit Pierrerit et Consorts".
S'il n'en figure point aux archives du Maine-et-Loire, de rares originaux ont été conservés par des familles angevines.
Une réédition vient de paraitre, réalisée par M. Grazelie, de Cheffes, et imprimée par M. Denesle, de Tiercé.
Reproduction fidèle, sur du velin d'arche, (49cm x 64 cm); ornée des portraits des condamnés, elle raconte en 23 couplets le détail de l'affaire, témoignage du début de ce 19e siècle troublé. 
Un feuillet accompagne la complainte, situant des événements dans le temps et l'espace.
Quant à l'aspect musical de cette chanson, une partition a été établie d'après les souvenirs d'Emile Joulain qui l'a entendue chantée par son père.
Actuellement exposé dans le cadre de l'animation par l'association Ellébore, au Centre Georges-Brassens, à Avrillé, ce document est en vente chez l'imprimeur, M. Denesle, à Tiercé; à la bouquinerie "Candide" rue Montaud, à Angers; et par courrier, M;A. Grazelie, à Cheffes-sur-Sarthe.

(1) L'un de ces feuilletons, publié par le "Courrier de l'Ouest", dans les années 50, avait pour auteur...Pierre Langevin, lui-même proche voisin du moulin d'Yvray.


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Le livre







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